Auteurs : Michel Gruet & Yann Massonneau.
Société D'histoire Et D'études Du Pays Challandais - 2012
Ce livre nous plonge au coeur du Moyen-Age, cette époque de mille ans qui parut longtemps immobile, après l'activité brillante de L'Antiquité, et avant les feux de la Renaissance. Du reste, qu'est-ce que Coudrie ? Cet écart de la commune de Challans, ce bout du monde, semble avoir été érigé par erreur au rang de commune sous la Révolution, mais pour quelques années seulement.
Une visite des lieux intrigue. Point de vestige municipal mais, au détour d'un chemin, une longue et étonnante chapelle. Celle-ci a été l'objet de toutes les attentions de la Société d'histoire et d'études du pays challandais qui, peu à peu et sous la houlette de son président Michel Gruet, a veillé à sa sauvegarde et en a fait le lieu majeur du patrimoine historique de Challans. Le statut communal accordé il y a quelques années à Coudrie a été comme un dernier hommage rendu à ce qu'on a toujours appelé «la commanderie». Ce nom singulier a mis les auteurs de ce livre, MM. Michel Gruet et Yann Massonneau, sur la piste d'une histoire qui allait révéler l'envergure véritable et cachée de Coudrie. C'est à Poitiers qu'ils en identifient la documentation abondante et ancienne. Les Archives départementales de la Vienne conservent en particulier un cartulaire, publié ici en latin, avec traduction et présentation en français. Il s'agit de l'ensemble des chartes ayant établi, depuis 1130, les acquisitions et les droits de cet établissement dépendant du grand prieuré d'Aquitaine. Coudrie était en effet l'une des toutes premières «commanderies» du plus célèbre ordre religieux et militaire, celui de la milice des pauvres chevaliers du Christ, dits encore templiers ou ordre du Temple de Jérusalem. Leur fondateur, le chevalier champenois Hugues de Payns, est revenu de Terre Sainte quelque temps pour faire reconnaître le nouvel ordre par le pape, en 1127, et pour créer aussitôt après un premier réseau d'établissements dans le royaume de France.
Grand domaine agricole, mais aussi seigneurie, Coudrie, à l'instar des autres commanderies - pas moins de douze en Vendée - a dépendu de L'ordre du Temple, auquel succéda plus tard l'ordre de Malte qui existe toujours. Jusqu'à la Révolution, soit pendant près de sept siècles, un religieux, chevalier de l'Ordre, a été tantôt présent à Coudrie, tantôt en service militaire, soit dans les pays du Levant, soit plus tard sur des galères en Méditerranée. La commanderie lui offrait un repli et un repos, permettait aussi son entretien et celui de ses hommes, participait enfin au financement des œuvres de L'ordre, cette organisation internationale fondée ou cours de la première croisade en 1118-1119, pour défendre les lieux saints.
Coudrie s'inscrit donc réellement dans une histoire qui dépasse de très loin les préoccupations habituelles des villages et châteaux alentour. Sa chapelle témoigne de la vie religieuse de ces chevaliers très particuliers. Leur prestige, leur puissance et leur habileté acquise dans les transferts financiers importants d'une rive à l'autre de la Méditerranée leur suscitèrent un jour la jalousie féroce du roi de France Philippe le Bel. Il fit arrêter en même temps les quatre à cinq mille moines-chevaliers du Temple, le 13 octobre 1307. Il les fit juger pour divers crimes et infamies. Il mit la main sur leurs trésors et obtint enfin du pape l'extinction de l'ordre du Temple. le frère Jean Durand, «précepteur du Temple de Coudrie» comparut à son tour le 22 mars 1311 devant une commission pontificale, au terme de trois ans et demi de captivité. On lira ci-après le texte très digne de sa déposition, mais aussi celui de sa brusque rétractation, deux jours plus tard. Il avouait en effet avoir renié le Christ et craché sur la croix, lors de sa profession. On sait que les chevaliers, longuement humiliés, étaient torturés et que beaucoup furent brûlés.
Les établissements du Temple furent attribués à un autre ordre militaire, de fondation contemporaine, celui des Hospitaliers de Saint-Jean-de-Jérusalem. Les croix de Malte qui décorent la crédence de la chapelle de Coudrie en témoignent. Les nouveaux chevaliers, chassés en effet de Terre Sainte dès 1291, se replièrent, au gré de l'emprise ottomane sur la Méditerranée, sur les îles de Chypre puis de Rhodes, enfin de Malte, où ils constituèrent un État souverain. C'est Bonaparte qui les chassa à son tour de Malte en 1798 mais, réfugiés à Rome, ils demeurent de nos jours un ordre souverain et accréditent des représentants diplomatiques auprès d'une trentaine d'États. Leur activité hospitalière a renoué depuis longtemps avec la Terre Sainte, sur un mode débarrassé de tout aspect militaire et de toute idée d'emprise territoriale ou religieuse. Voilà qui éclaire la raison profonde et originelle de ces ordres : maintenir une présence latine en Terre Sainte.
En relevant successivement du Temple puis de Malte, Coudrie a été au service de leur préoccupation majeure : le lien de l'Occident avec ses racines religieuses. La chapelle, ce monument de pierre, en est un témoin que font parler les auteurs de ce livre, tout autant qu'ils nous révèlent un autre monument, de papier cette fois, le cartulaire de Coudrie.
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