Contributeur : Comte Olivier Chebrou de Lespinats - www.sancti-lazari.com
Avant les Croisades, il existait à Jérusalem, en dehors des murailles de la ville sainte, un hôpital pour les lépreux, placé sous l’invocation de Saint-Lazare. Dépendant de la juridiction des Patriarches Grecs de Jérusalem, il était desservi par des moines arméniens soumis à la Règle de Saint-Basile le Grand. L’Ordre de Saint-Lazare est issu de cet hôpital.
A la différence des autres ordres militaires et religieux qui s’établirent en Terre-Sainte, Saint-Jean, Le Temple ou Sainte-Marie des Teutoniques qui dépendaient de l’Eglise Latine, l’Ordre de Saint-Lazare était sous la juridiction de l’Eglise d’Orient. En l’absence du Patriarche Grec Melkite, le Maître de Saint-Lazare était suffragant (grand électeur) de l’archevêque des Arméniens.
Après la prise de Jérusalem par les croisés, en 1099, les chevaliers devenus lépreux vinrent se faire soigner à l’Hôpital Saint-Lazare, certains restèrent au sein de la communauté monastique et prononcèrent leurs vœux tout en conservant leur engagement chevaleresque. Au 12ème siècle, les chevaliers hospitaliers adoptèrent la règle de Saint-Augustin. Ainsi apparut l’identité définitive de l’Ordre de Saint-Lazare. Il fut confirmé comme Ordre religieux, militaire et hospitalier par une bulle du Pape Alexandre IV donnée le 11 des calendes d’avril 1255.
Les hospitaliers de Saint-Lazare soignaient les lépreux et devaient accueillir parmi eux les chevaliers des autres ordres atteints de cette maladie. C’est ainsi que les Templiers prévoyaient dans leur règle (art. 429), l’accueil dans l’Ordre de Saint Lazare de leurs frères devenus lépreux.
Après la prise de Jérusalem par Saladin en 1157, l’action militaire des Chevaliers Hospitaliers de Saint-Lazare se développe. Ils participent à la prise de Saint-Jean d’Acre en 1191. On les retrouve ensuite aux côtés de l’Empereur Frédéric II de Hohenstaufen, Roi de Jérusalem, dans sa croisade de 1227. En 1244, ils prennent une part héroïque à la funeste bataille de Gaza.
Puis, aux côtés du Roi de France, les chevaliers de Saint-Lazare participent au combat de Damiette et à la bataille de la Mansourah (1249). Lors du siège de Saint-Jean d’Acre en 1291, ils sont avec les chevaliers des autres ordres, les défenseurs héroïques de la dernière citadelle des Chrétiens en Orient.
Les commanderies de l’Ordre existent alors dans de nombreux pays : France, Angleterre, Ecosse, Allemagne, Hongrie, Espagne, Italie, Suisse, Flandres, etc. En 1154, le Roi de France, Louis VII, donne à l’Ordre de Saint-Lazare le château royal de Boigny près d’Orléans. Après la perte de ses possessions en Terre Sainte, l’Ordre regagne ses commanderies européennes et le Grand Maître, frère Thomas de Sainville, s’installe à Boigny qui accueillera ainsi le siège du Magistère de l’Ordre jusqu’à la Révolution Française.
Afin de leur éviter toute spoliation, en 1308, le Roi de France, Philippe IV le Bel, prend l’ensemble des Chevaliers de Saint-Lazare sous sa garde et protection, qui, depuis lors, devient héréditaire. Depuis son siège de Boigny, le Grand Maître dirige et développe les commanderies réparties dans toute l’Europe en recentrant leurs activités sur le soin des lépreux. Cette expertise médicale particulièrement appréciée est à l’origine de nombreux dons et legs qui permettent à l’Ordre de construire un important réseau de léproseries. Tous les deux ans, lors des célébrations de la Pentecôte, le Grand Maître réunit l’ensemble des chevaliers en Chapitre Général dans ce petit village de l’Orléanais devenu siège européen de Saint-Lazare.
Au cours des 14ème et 15ème siècles, les chevaliers développent leur activité hospitalière et leur fonction militaire s’affirme. Ils sont notamment aux côtés du Roi de France pendant la Guerre de Cent Ans ; certains d’entre eux sont compagnons de Jeanne d’Arc au siège d’Orléans. Mais l’Ordre de Saint-Lazare doit, à la fin du 15ème et au cours du 16ème siècle, faire face à de nombreuses difficultés.
En 1517, le Prieuré de Capoue se détache du Grand Magistère de Boigny et constitue une branche distincte de l’Ordre, laquelle, en 1572, est unie à l’Ordre de Saint-Maurice pour former l’ordre des Saints Maurice et Lazare, sous la grande maîtrise héréditaire des Ducs de Savoie. En Angleterre, le Roi Henry VIII, lorsqu’il rompt avec l’Eglise Catholique en 1534, réunit au domaine royal les biens de l’Ordre. En Allemagne et en Suisse, lors de la réforme, l’Ordre est dépossédé de ses biens.
En France, grâce à la protection héréditaire des Rois de France, l’Ordre de Saint Lazare échappe à toute absorption et spoliation. Les Grands Maîtres de Boigny jouent un rôle important dans le royaume. C’est le cas de François Salviati (1578-1586) qui, avec l’aide de Henri III maintient le caractère international de l’Ordre ou celui de Aimard de Clermont de Chastes (1593-1603) qui est vice-amiral de France et compagnon du Roi.
En 1607, le Roi Henri IV fonde l’Ordre de Notre-Dame du Mont-Carmel et en confie, en 1608, la Grande Maîtrise au Grand Maître de l’Ordre de Saint-Lazare, le marquis de Nerestang. L’union des deux Ordres sous une même Grande Maîtrise est confirmée par la bulle du Cardinal de Vendôme, légat du Pape en France, datée du 05 juin 1668, rappelant et confirmant les privilèges, grâces et indults accordés à l’Ordre de Saint-Lazare. Les deux Ordres réunis ont une vie commune jusqu’en 1788, soit un peu plus d’un siècle et demi, sans qu’il y ait pour cela fusion ou confusion. A partir de 1779, chaque Ordre reprend un recrutement et des insignes propres.
En 1612, des vaisseaux de guerre arborant le pavillon des Ordres réunis prennent part à des expéditions au Niger. En 1666, dans le cadre de la restructuration de la marine française voulue par le Roi Louis XIV, les Ordres de Saint-Lazare et de Notre-Dame du Mont-Carmel constituent une flotte de guerre battant pavillon aux armes de l’Ordre dont le port d’attache est Saint-Malo. Cette escadre comprend dix frégates.
Ces navires armés par les chevaliers eux-mêmes sont rapidement engagés contre les bâtiments anglais. En mai 1666, le Chevalier de Groslieu, commandant la frégate « Saint-Lazare » meurt au combat après avoir rejeté plusieurs abordages de trois frégates anglaises. En avril 1677, le Chevalier de Cicé prend le commandement d’une escadre de quatre frégates, au mois de mai lors d’une sortie, il rencontre un corsaire anglais. Après un combat de deux heures et avoir tué le capitaine anglais, il est lui-même tué. Enfin, en décembre 1667, les Ordres fondent, à Paris, une Académie de Marine.
S’appuyant sur le dynamisme que les Ordres réunis viennent de démontrer et sur leur compétence hospitalière, le Roi Louis XIV confie en 1672 aux Chevaliers de Saint-Lazare et de Notre-Dame du Mont-Carmel, l’administration de toutes les léproseries, hôpitaux et Maisons-Dieu du royaume. Les Ordres réunis constituent ainsi un véritable ministère de la santé jusqu’en 1693.
Sous la Grande Maîtrise du Marquis de Dangeau (1693-1720), les Ordres connaissent un nouveau rayonnement et étendent leur recrutement dans divers pays : Espagne, Naples, Saxe, Pologne, Danemark, Suède, Ecosse et parmi les Chrétiens d’Orient, fidèles en cela aux origines de l’Ordre de Saint-Lazare.
Après le Duc d’Orléans, premier Prince du sang, qui s’attache à un retour plus rigoureux de la pratique religieuse, notamment celle de la lecture de l’office quotidien prescrite par la règle, le Prince Louis de France, Duc de Berry et futur Roi Louis XVI, est investi de la Grande Maîtrise en 1757. Un différend entre l’Assemblée du Clergé de France et les Ordres réunis portant sur la capacité pour un Ordre essentiellement composé de laïcs de recevoir des biens ecclésiastiques, conduit le Pape Clément XIV à rédiger la Bulle "Militarium Ordinum Institutio" du 10 décembre 1772, qui lui enlève la capacité tout en le confirmant dans son état.
Le Duc de Berry, devenu Roi de France, se démet de sa fonction de Grand-Maître et son frère, le Comte de Provence, futur Louis XVIII, lui succède en 1773.
Par un règlement du 21 janvier 1779, le nouveau Grand-Maître sépare le recrutement des Ordres réunis. L’Ordre de Notre-Dame du Mont-Carmel est désormais réservé aux seuls élèves de l’Ecole Militaire. La dernière promotion est nommée en juillet 1787 et l’Ecole supprimée en 1788. Le Roi Louis XVI attribue, par lettres patentes de septembre 1788, les bâtiments de l’Ecole Militaire aux Chevaliers de Saint-Lazare.
Les évènements de 1789 empêchent l’Ordre de poursuivre ses activités. Il n’y a pas d’investiture lors de la Saint-Lazare, le 17 décembre 1789, comme cela était la tradition, et le gouvernement révolutionnaire confisque tous les biens de l’Ordre en 1791, y compris la commanderie magistrale de Boigny. Le Comte de Provence part en immigration où il continue de diriger l’Ordre et de nommer des Chevaliers. En 1799, il admet dans l’Ordre le Tsar Paul 1er de Russie et le futur Tsar Alexandre 1er, faisant de même en 1808 pour le Roi Gustave IV de Suède. Par la suite, d’autres Chrétiens non catholiques sont admis dans l’Ordre comme Chevaliers d’honneur, permettant ainsi de faire apparaître un aspect particulier de la vocation de l’Ordre, celle de l’unité des Chrétiens.
En 1814, lorsque le roi Louis XVIII rentre en France, l’Ordre de Saint-Lazare reprend sa place, mais le roi ne conserve pas la Grande Maîtrise, se contentant d’en être le Protecteur. Tout en restant favorable à l’Ordre, Louis XVIII ne fait rien pour lui redonner son lustre (cette attitude peut s’expliquer de la manière suivante : le Comte de Provence, lorsqu’il était encore en émigration utilisa une grande partie des fonds appartenant à l’Ordre, devenu roi, il autorisa les chevaliers à reprendre leurs activités, lui-même est représenté sur tous les tableaux officiels avec sa croix de Saint-Lazare, mais, certainement pour éviter un rappel de sa dette, il n’encouragea pas un redéploiement de l’Ordre).
A sa mort, en 1824, son successeur, le Roi Charles X devient protecteur de l’Ordre. Celui-ci est alors dirigé par le Conseil des Officiers au nombre desquels figure le Chevalier Du Prat-Taxis, agent général de l’Ordre, secondé par le Baron Silvestre, héraut d’armes et du Baron Dacier historiographe, l’Abbé Picot étant Chapelain du Conseil.
Louis XVIII, Protecteur de l’Ordre, ne semble pas avoir autorisé de nomination ou de promotion dans l’Ordre, par contre, sous le protectorat du Roi Charles X, une dizaine de nominations et deux promotions témoignent de son renouveau.
Lors de la Révolution de 1830, les Chevaliers de Saint-Lazare perdent leur protecteur temporel, le Roi Charles X, contraint à l’exil. Le Conseil des Officiers, auquel se sont joints le Commandeur Comte d’Albignac et le Commandeur Marquis d’Autichamp, s’adressent alors à leur premier Protecteur spirituel, le Patriarche Grec Melkite. Le Patriarche Maximos III accepte, en 1841, de reprendre cette protection. Celle-ci, qui rappelle la première juridiction dont dépendait les Hospitaliers de Saint-Lazare au début de leur présence en Terre-Sainte, se substitue à celle du Roi de France en ce qui concerne la dimension historique et à celle directe du Saint-Siège en ce qui concerne la dimension spirituelle (le Conseil des Officiers est conscient de l’impossibilité, à cette époque, de faire admettre des chevaliers non catholiques par l’Eglise romaine dite de rite latin).
Le choix du Patriarche grec catholique est un épisode important de l’histoire de l’Ordre. Les Chevaliers Hospitaliers de Saint-Lazare renouent ainsi avec l’humilité de leurs origines.
Dès 1844, ils participent à une œuvre importante dans le cadre de leurs nouveaux engagements. Il s’agit de la reconstruction du monastère du Mont-Carmel près de Jérusalem. Cet important projet mobilise les énergies des membres de l’Ordre de Saint-Lazare dans la deuxième partie du 19ème siècle. Cette mobilisation s’élabore autour de deux objectifs : retrouver leurs racines en Terre Sainte et recentrer leur action hospitalière sur l’accompagnement des pélerins. Ce retour aux sources et cette action sont encouragés par un comité où l’on trouve le Comte de Montalembert, Alfred de Vigny, Alphonse de Lamartine côtoyant Alexandre Dumas et Victor Hugo.
Ce comité constitué pour récolter des fonds édite une notice rédigée en 1844 qui précise : "…Depuis nos croisades, l’ordre des Hospitaliers de Saint-Lazare, qui s’est formé en Palestine des premiers compagnons de Godefroy, pour nos compatriotes blessés loin de la Patrie, s’est joint à l’ordre des Carmes, et garde le caractère chrétien, humain et français de sa première institution".
Au cours de ces années, les derniers chevaliers, nommés pendant la restauration, sont rejoints pas des chevaliers nommés par le Conseil des Officiers et confirmés par les Patriarches successifs afin de maintenir le service de l’Ordre.
En 1910, le Patriarche Cyrille VIII rétablit la chancellerie de l’Ordre à Paris et celle-ci reprend en main les destinées de l’Ordre. Après la guerre de 1914-1918, il s’étend en France, en Espagne et aux Pays-Bas et s’implante hors d’Europe notamment aux Etats-Unis et au Canada.
En 1933, le Grand Magistère est restauré et Farçois de Bourbon, Duc de Séville, en prend la tête avec le titre provisoire de Lieutenant-Général. Les Chevaliers de Saint-Lazare développent leur action hospitalière et plus particulièrement en Terre Sainte, dans le cadre des œuvres du Patriarcat (Jérusalem, Alep et Damas).
En décembre 1935, le Chapitre général se réunit en France et le Duc de Séville est élu Grand-Maître. L’Ordre continue son développement international en restructurant des prieurés anciens, notamment en Allemagne avec le Prince Ferdinand de Hohenzollern, en Bohème avec le Prince Charles de Schwartzenberg, en Roumanie avec le Roi Carol II, en Bulgarie avec le Roi Boris III. Ces nouveaux prieurs aux noms prestigieux permettent un véritable renouveau de l’Ordre dans le cadre hospitalier comme dans celui de l’unité des chrétiens qui s’affirme comme faisant partie intégrante de sa vocation. En effet, la tradition instaurée par le Comte de Provence de nommer des Chevaliers d’honneur non catholiques se perpétue avec ces nouveaux Prieurs. Le Magistère et le Protecteur spirituel de l’Ordre sont catholiques mais les membres peuvent appartenir aux grandes religions chrétiennes. Les règles et statuts sont modifiés dans cet esprit et permettent dorénavant à des Dames de rentrer dans l’Ordre en souvenir des Sœurs de Saint-Lazare qui, aux côtés des Chevaliers Hospitaliers, soignaient les lépreuses.
Lors de la seconde guerre mondiale, l’Ordre de Saint-Lazare organise, dès 1940, un corps d’ambulances pour le front français. Pendant l’occupation, il institue un corps de volontaires secouristes dits "Volontaires de l’Ordre de Saint-Lazare" qui sauve de nombreuses vies lors des bombardements notamment en Normandie et en région parisienne. Son action humanitaire et patriotique est reconnue par le gouvernement français en 1945 et 1947. Celui-ci décerne, à ce titre, la croix de guerre au Grand Capitulaire de l’Ordre.
Après le conflit, les Chevaliers de Saint-Lazare reprennent leurs actions hospitalières et leur démarche en faveur de l’unité des chrétiens. Pour cela, des accords sont passés avec Raoul Follereau afin de reprendre le combat contre la lèpre, des dispensaires sont créés en Afrique, un village pour lépreux est construit à titre expérimental au Sénégal, à Djifonghor. Au croisement de la vocation humanitaire et de celle de l’unité des Chrétiens, l’Ordre de Saint-Lazare accueille Albert Schweitzer comme chevalier.
Le médecin et pasteur de Lambaréné va accompagner l’Ordre dans ses projets africains. L’ensemble de ces actions vaut à l’Ordre de Saint-Lazare la reconnaissance officielle d’un certain nombre d’états : la Bolivie en 1950, le Canada en 1963, l’Autriche en 1977, la Croatie en 1992 et la Hongrie en 1993.
Le 12 septembre 2004, l’Ordre de Saint-Lazare de Jérusalem a retrouvé une légitimité comparable à celle qu’il détenait avant 1830. En effet, un événement historique se déroule ce jour-là en la cathédrale d’Orléans. Le Prince Charles-Philippe d’Orléans, qui vient d’être élu la veille par le Chapitre Général, est investi dans ses fonctions de 49ème Grand-Maître de l’Ordre Militaire et Hospitalier de Saint-Lazare de Jérusalem "tant en deçà qu’au delà des mers" par son Eminence le Cardinal Paskaï, Primat de Hongrie, assurant le lien avec le Saint-Siège.
Cette cérémonie est couronnée par la proclamation solennelle du Chef de la Maison de France, Monseigneur le Comte de Paris, Duc de France, réaffirmant détenir dans son héritage, depuis le roi Philippe IV le Bel, le titre de "Protecteur de l’Ordre Militaire et Hospitalier de Saint-Lazare de Jérusalem".
A cette date, prend fin la Protection substitutive à celle du chef de la Maison de France et à celle du Saint-Siège que les Patriarches Grecs Melkites assumèrent pendant un siècle et demi.
Actuellement l’Ordre de Saint-Lazare est déployé dans 24 pays de tous les continents. Son action hospitalière, qui se caractérise par des liens constants entre celui qui aide et celui qui est aidé, conserve sa vocation initiale orientée vers le soin des lépreux mais se développe également autour d’actions hospitalières en Europe centrale et de l’accompagnement des jeunes défavorisés des grandes villes.