France, département de l'Aude, à environ 46 km au sud de Carcassonne, à 6 km au nord de Quillan, commune de Campagne-sur-Aude.
La première mention de l'existence d'un habitat humain à Campagne date du début du 9ème siècle, dans une charte de l'abbaye de Lagrasse(1) datée de 814 où il est fait mention d'un "allodium villae Campaniae".
Par la suite, les bénédictins de Lagrasse y fondèrent une "cella"(2). En se développant, cette "cella" donna naissance à un "villare" ou bourg situé dans les méandres de l'Aude.
A l'origine, propriété de cette abbaye de Lagrasse, le village de Campagne finira par être rattaché au domaine des vicomtes de Carcassonne. En 1147, Roger 1er(3) fait don de ses possessions de Campagne à l'Ordre du Temple pour pouvoir être relevé de son voeu de participer à la 2ème croisade mais aussi pour pouvoir être relevé d'une forte hypothèque.
Les archives ont conservé l'acte en latin de cette donation, dont voici une traduction(4) :
"Moi, Roger de Béziers, fils de Bernard Aton et de Cécile, frère de Raymond Trencavel et de Bernard Aton, je donne à la Milice du Temple de Salomon, tout mon domaine appelé Campagne, situé dans le Comté de Razès, sur le fleuve Aude qui le divise en son milieu. Je le donne avec tous ses habitants hommes, femmes et enfants, ses maisons, cens et usages, ses condomines et terres labourables, ses prés, pâturages, garrigues, ses cultures et terrains incultes, ses eaux et aqueducs, avec tous les moulins et droits de mouture, pêcheries avec entrées et sorties. Les Frères du Temple ne me devront sur leur domaine, ni revenus, ni leude(5), ni droit de péage et passage; sans que mon baile n’ait aucun droit de justice, d’impôt et service. Ni que les habitants me doivent le service armé, chevauchée ni expédition militaire. La propriété est de "franc-alleu" et "perpétuelle".
Sur cet acte, sont apposées les signature de Roger 1er et celle de Pierre de Rouverie(6), frère du Temple.
De par cet acte, les Templiers deviennent les vrais propriétaires du village de Campagne et s'organisent pour le développer.
Ils axent surtout le développement de leur possession sur l'agriculture en répartissant les terres en tenures(7) et métairies(8), en construisant plusieurs moulins le long de l'Aude.
A proximité de l'Aude, sur un affleurement rocheux, les Templiers vont construire leur maison fortifiée sur base d'un plan dodécagonal dont chaque pan mesure environ 20 mètres. Le sommet du mur d'enceinte, situé à environ 10 mètres du sol, est garni de créneaux et d'un chemin de ronde. Tout autour de cette fortification, un large fossé est creusé et alimenté par la rivière grâce à une dérivation.
L'accès principal de la fortification était situé au sud et se faisait par un mécanisme appelé "pont-tiroir". Le second accès, plus discret, était situé au sud-ouest et donnait directement accès à la maison des chevaliers.
L'ensemble de ce fortin pourrait être divisé en trois zones distinctes ayant l'église et les ruelles comme séparations (voir le schéma à droite):
L'église quant à elle occupait le centre de la fortification. De dimension modeste elle est construite sur base d'un plan rectangulaire d'environ 17,50 m de long sur 5,50 m de large.
Non voûtée, elle ne s’élevait qu’à 7,50 m. Elle était éclairée d’un oculus à l’Est, au-dessus de l’autel, et probablement de deux petites fenêtres sur les faces Nord et Sud.
La partie occidentale, face à l’autel, formait le fond de la chapelle et constituait la base du donjon-clocher. Celui-ci, haut de 25 mètres, était à la fois tour de guet, chartrier et clocher.
Au cours de la croisade albigeoise, les troupes de Simon IV de Montfort(10) s'emparent de plusieurs fiefs de la région sous prétexte que les seigneurs sont taxés d'hérésie. Bien qu'appartenant à l'Ordre du Temple, Campagne-sur-Aude n'est pas épargnée par cette conquête et tombe entre les mains des troupes de Simon de Montfort.
Après un long procès émaillé de luttes juridiques, Simon de Montfort en personne fait rendre Campagne-sur-Aude aux Templiers quelques années plus tard.
En 1242, c'est un chevalier Faydit, Bernard Sermon d'Albezune(11) (ou du Bezu) qui s'empare du fort de Campagne-sur-Aude en en fracassant les portes et en malmenant les deux Templiers qui y résidaient.
Une nouvelle procédure est mise en branle par l'Ordre et celui-ci récupère à nouveau ses possessions de Campagne en septembre 1243.
Après 1312, la maison fortifiée, attribuée à l'Ordre de l'Hopital comme les autres propriétés templières, est méconnaissable.
Les Hospitaliers la modifient complètement. Ils suppriment tout l’appareil "militaire" et l’aménagement domestique, ne conservant que la maison du Commandeur, le logement des chevaliers et bien entendu, la chapelle.
Celle-ci sera complètement modifiée ultérieurement (voir le tracé en pointillé sur le schéma).
Sur le mur sud, ils construisent au 15ème siècle, un chevet gothique formant le chœur où sera placé le maître-autel. Changeant complètement la disposition de l’ancienne chapelle templière, une nef est ajoutée sur le mur Nord avec une porte d’entrée sur l'actuelle place du village et a nécessité l’ouverture d’un pan des fortifications pour faire place à la construction du parvis et des marches qui y conduisent.
Devenu "Bien National" après la révolution française, le fort sera à nouveau complètement bouleversé. Le fossé d’enceinte est transformé en promenade, la déviation de l’Aude est comblée et plantée d’arbres. C’est ainsi que nous voyons le village dans son état actuel.
L’intérieur de la commanderie quant à lui est aménagé pour les services locaux et municipaux. La maison du Commandeur devient la mairie, la maison des chevaliers, le presbytère et le cimetière est transféré à l’extérieur vers la campagne. L’intérieur des remparts est garni de maisons particulières à l’emplacement des communs.
(1)L'abbaye bénédictine Sainte-Marie de Lagrasse a été fondée bien avant le 9ème siècle, car en 799, on trouve des actes mentionnant sa reconstruction.
(2)Il s'agit d'une parcelle dépendant du territoire de l’abbaye; on y détachait un ou deux religieux faisant fonction de métayers, et on engageait des laïques journaliers comme main-d’œuvre locale. Les revenus de cette parcelles étaient ensuite reversés à l'abbaye.
(3)Roger 1er Trencavel (né à la fin du 11ème siècle, mort en 1150) est vicomte de Carcassonne et d’Albi de 1129 à 1150. Il était le fils de Bernard Aton IV Trencavel, vicomte d’Agde, d’Albi, de Béziers, de Carcassonne et de Nîmes, et de Cécile de Provence. Tombé malade à la veille de partir en croisade, il ne peut s'embarquer avec son frère Raymond qui accompagnait Alphonse 1er Comte de Toulouse vers la Terre Sainte.
(4)Traduction reprise dans l'article de Maud de Gelibert dans "Bulletin de la société d'études scientifiques de l'Aude - Tome LXXIII - 1973".
(5)La leude (leide, leyde ou laide) est un droit d'octroi ou impôt, levé sur les marchandises, denrées et bestiaux vendus sur les foires et les marchés. Cette contribution était surtout répandue dans le centre et le midi de la France. Au nord, l'équivalent était le droit de tonlieu.
(6)Pierre de Rouverie, aussi cité comme Pere ou Petrus de Roveria ou Rovira. Il est mentionné comme maître de Provence et d'Aragon dans le cartulaire de Richerenches en 1143 et en 1157.
(7)La tenure ou le tènement, désigne la portion d'une seigneurie occupée et cultivée par un paysan libre(tenancier) durant le Moyen Âge. Ce tenancier n'a que la jouissance de cette terre et pas la propriété.
(8)Une métairie (aussi appelée "casal") est un domaine agricole géré par un exploitant (métayer) qui exploite le domaine et en partage la récolte (ou les fruits de la vente de cette récolte) avec le propriétaire selon des clauses fixées par contrat.
(9)Au "Moyen-Âge", on distingue trois niveaux de justice séculière, aussi appelée justice seigneuriale. Il s'agit des haute, moyenne et basse justice. La haute justice confère le droit au seigneur (ou à son représentant) de juger toutes les affaires criminelles et de prononcer tout type de sentence, y compris la peine de mort. La moyenne justice confère le droit au seigneur (ou à son représentant) de juger les faits moins graves, des délits comme les rixes, les vols, mais aussi les affaires civiles, comme les successions, la protection des mineurs, les différends commerciaux, ... Et la basse justice quant à elle concerne le règlement des litiges liés aux droits dûs au seigneur, comme la perception de taxes, mais aussi des délits peu graves comme la divagation d'animaux, les injures simples,... Ceci correspond en gros à ce que l'on connait actuellement en termes de crimes, délits et contraventions.
(10)Simon IV de Montfort, parfois mentionné comme Simon V à cause de mentions peu claires dans certaines sources médiévales, est sans doute né vers 1165 et mort le 25 juin 1218 lors du siège de Toulouse. Il est seigneur de Montfort-l'Amaury de 1188 à 1218, comte de Leicester en 1204, vicomte d'Albi, de Béziers et de Carcassonne de 1213 à 1218, comte de Toulouse de 1215 à 1218. Il est la figure emblématique de la croisade contre les Albigeois.
Il est le fils de Simon III (ou IV) de Montfort et de Amicie de Beaumont et de Leicester. Il participe de façon plus ou moins indépendante à la 4ème Croisade, mais apprenant la prise de Constantinople par les Croisés, il décide de rentrer au plus vite sur ses terres.
En 1208, il décide de rejoindre les troupes armées qui vont aller affronter l'hérésie cathare dans le sud de la France.
Au cours des années suivantes, il participe à la prise de nombreuses villes comme Béziers, Carcassonne, Fanjeaux, Castres, Minerve, Termes, Lastour.
En 1213, il entreprend de s'attaquer à Raymond VI de Toulouse, et après diverses victoires, dont celle de Muret en septembre 1213, il entreprend en octobre 1217 le siège de la cité de Toulouse qui durera de nombreux mois. Le 25 juin 1218, au cours d'une sortie des assiégés, il est tué par un projectile lancé par une pierrière à partir des remparts de la ville.
(11)Il s'agit sans doute de Bernard-Sermon V d'Albezun, fils de Bernard-Sernon IV et de Comtora de Niort, ou d'Aniort.