Publié grâce à l'aimable autorisation de l'Abbaye Saint Benoît de Port-Valais, 1897 Le Bouveret (VS) SUISSE
4. Mais les soldats du Christ combattent en pleine sécurité (1) les combats de leur Seigneur, car ils n'ont point à craindre d'offenser Dieu en tuant un ennemi et ils ne courent aucun danger, s'ils sont tués eux-mêmes, puisque c'est pour Jésus-Christ qu'ils donnent ou reçoivent le coup de la mort, et que, non-seulement ils n'offensent point Dieu, mais encore, ils s'acquièrent une grande gloire: en effet, s'ils tuent, c'est pour le Seigneur, et s'ils sont tués, le Seigneur est pour eux; mais si la mort de l'ennemi le venge et lui est agréable, il lui est bien plus agréable encore de se donner à son soldat pour le consoler.
Ainsi le chevalier du Christ donne la mort en pleine sécurité et la reçoit dans une sécurité plus grande encore.
Ce n'est pas en vain qu'il porte l'épée; il est le ministre de Dieu, et il l'a reçue pour exécuter ses vengeances, en punissant ceux qui font de mauvaises actions et en récompensant ceux qui en font de bonnes. Lors donc qu'il tue un malfaiteur, il n'est point homicide mais malicide, si je puis m'exprimer ainsi ; il exécute à la lettre les vengeances du Christ sur ceux qui font le mal, et s'acquiert le titre de défenseur des chrétiens.
Vient-il à succomber lui-même, on ne peut dire qu'il a péri, au contraire, il s'est sauvé.
La mort qu'il donne est le profit de Jésus-Christ, et celle qu'il reçoit, le sien propre.
Le chrétien se fait gloire de la mort d'un païen, parce que le Christ lui-même en est glorifié, mais dans la mort d'un chrétien la libéralité du Roi du ciel se montre à découvert,-puisqu'il ne tire son soldat de la mêlée que pour le récompenser.
Quand le premier succombe, le juste se réjouit de voir la vengeance qui en a été tirée; mais lorsque c'est le second qui périt " tout le monde s'écrie : Le juste sera-t-il récompensé? Il le sera sans doute, puisqu'il y a un Dieu qui juge les hommes sur la terre (Psalm. LVII, 11). "
Il ne faudrait pourtant pas tuer les paîens mêmes, si on pouvait les empêcher, y par quelque autre moyen que la mort, d'insulter les fidèles ou de les opprimer. Mais pour le moment, il vaut mieux les mettre à mort que de les laisser vivre pour qu'ils portent les mains sur les justes, de peur que les justes, à leur tour, ne se livrent à l'iniquité.
5.
Mais, dira-t-on, s'il est absolument défendu à un chrétien de frapper de l'épée, d'où vient que le héraut du Sauveur disait aux militaires de se contenter de leur solde, et ne leur enjoignait pas plutôt de renoncer à leur profession (Luc., III, 13) ?
6. Quand ils seront chassés, il reviendra prendre possession de son héritage et de sa maison dont il a dit lui-même, dans sa colère : " Le temps s'approche où votre demeure sera déserte (Matth., XXIII, 38), " et dont le Prophète a dit en gémissant: " J'ai quitté ma propre maison, j'ai abandonné mon héritage (Jerem., XII, 7) ; " et il accomplira cette autre parole prophétique : " Le Seigneur a racheté son peuple et l'a délivré ; aussi le verra-t-on plein d'allégresse, sur la montagne de Sion, se réjouir des bienfaits du Seigneur. "
Livre-toi donc aux transports de la joie, ô Jérusalem, et reconnais que voici les jours où Dieu te visite.
Réjouissez-vous aussi et louez Dieu avec elle, déserts de Jérusalem, car le Seigneur a consolé son peuple, il a racheté la Cité sainte et il a levé son bras saint aux yeux de toutes les nations.
Vierge d'Israël, tu étais tombée à terre, et personne ne se trouvait qui te tendît une main secourable; lève-toi maintenant, secoue la poussière de tes vêtements, ô vierge, ô fille captive, ô Sion, lève-toi, dis-je, et même élève-toi bien haut et vois au loin les torrents de joie que ton Dieu fait couler vers toi.
On ne t'appellera plus l'abandonnée, et la terre où tu t'élèves ne sera plus une terre désolée, parce que le Seigneur a mis en toi toutes ses complaisances et tes champs vont se repeupler.
Jette tes yeux tout autour de toi et regarde; tous ces hommes se sont réunis pour venir à toi; voilà le secours qui t'est envoyé d'en haut.
Ce sont ceux qui vont accomplir cette antique promesse : " Je t'établirai dans une gloire qui durera des siècles et ta joie se continuera de génération en génération tu suceras le lait des nations et tu seras nourrie aux mamelles qu'ont sucées les rois (Isa., LX. 15). "
Et cette autre encore : " De même qu'une mère caresse son petit enfant, ainsi je vous consolerai et vous trouverez votre paix dans Jérusalem (Isa. LXVI, 13)."
Voyez-vous quels nombreux témoignages reçut, dès les temps anciens, la milice nouvelle et, comme sous nos yeux s'accomplissent les oracles sacrés, dans la cité du Seigneur des vertus?
Pourvu que maintenant le sens littéral ne nuise point au spirituel, que la manière dont nous entendons, dans le temps, les paroles des prophètes, ne nous empêche pas d'espérer dans l'éternité, que les choses visibles ne nous fassent point perdre de vue celles de la foi, que le dénûment actuel ne porte aucune atteinte à l'abondance de nos espérances et que la certitude du présent ne nous fasse point oublier l'avenir.
D'ailleurs la gloire temporelle de la cité de la terre, au lieu de nuire aux biens célestes ne peut que les assurer davantage, si toutefois nous croyons fermement que la cité d'ici-bas est une fidèle image de celle des cieux qui est notre mère.
(1)C'est la même pensée que Jean de Salisbury exprime dans son Polycratique, livre VII, chapitre XXI en parlant des Templiers. Il n'y a guère qu'eux, dit-il, dans tout le monde,qui fassent légitimement la guerre.
(2)Saint Bernard veut parler, en cet endroit, des deux glaives, le matériel et le spirituel, dont il est question dans la lettre deux cent cinquante-sixième et au livre IV de ta Considération, chapitre lit, n. 7.